jeudi 9 juillet 2009

Le fascisme français n’a pas existé


On est comme ça en France : quand on ne se demande pas pourquoi les gauchistes les plus ultra n’ont pas basculé dans le terrorisme après mai 68 comme leurs camarades de lutte ouest-allemands et italiens, on se demande pourquoi la France n’a pas basculé dans le fascisme au milieu des années trente comme les Allemands et les Italiens. Laissons de côté pour l’instant la première partie de la question et attachons nous à la seconde. Un article de l’historien Michel Winock nous y invite dans la revue Vingtième siècle (No 90, avril-juin 2006, 18,50 euros, Presses de Science Po). Sous le titre "Retour sur le fascisme français", il aborde le problème sous l’angle particulier du "cas La Rocque", du nom du colonel François de La Rocque, qui fut entre les deux guerres le chef charismatique des Croix-de-Feu, ligue d’anciens combattants devenue à partir de juillet 1936 le Parti Social Français (PSF).

Il faut dire que ces derniers temps, plusieurs livres ont paru, tant en anglais qu’en français, pour regrouper certains historiens (Michel Winock, Jacques Julliard, Philippe Burrin, Serge Berstein, Pierre Milza notamment) au sein d’une improbable "école du consensus", tous défenseurs de ladite "thèse immunitaire" en vertu de laquelle, selon les résultats de leurs recherches, la France des années 30 aurait été immunisé contre le fascisme. C’est évidemment plus compliqué que cela ; leur analyse est certainement plus fine, d’autant qu’elle se situe dans la ligne de l’article pionnier de Raoul Girardet de 1955 qui parlait plutôt d’"imprégnation fasciste". Le fait est que malgré les tentations et les contagions, la France de l’époque est restée une république parlementaire. Pour autoritaires qu’elles fussent, les droites nationalistes n’en demeuraient pas moins pacifistes, éloignée de toute idée de revanche et de conquête. Si elles étaient immunisées contre le fascisme, ce n’était pas en raison de leur nature mais de la conjoncture, soutient Winock. Il tient que rien ne vaut l’étude du cas Croix-de-Feu/PSF pour tester et évaluer la pénétration du fascisme dans cette France là. Dire cette ligue, ce parti, cette mouvances "fascistes" est un lieu commun qui a la vie dure, même si la jurisprudence des tribunaux l’interdit désormais, grâce à la vigilance de Gilles de La Rocque, fils du colonel.

Croixdefeu_2Sur quoi repose cette légende si pratique et si confortable ? Avant tout sur les apparences. Au début des années 30, les Croix-de-Feu sont à droite les seuls en mesure d’aligner un service d’ordre organisé militairement, et à tenir la rue le cas échéant ; ils sont bien plus nombreux et puissants que les "Camelots du roi" de l’Action française, mais leurs "dispos" (pour "disponibles") demeurent dans le légalisme voulu par leur chef. Ils n’ont pas, il s’en faut, la dimension violente et criminelle des squadre mussoliniens et des SA hitlériens. Ils restent un service d’ordre en tenue civile, destiné aux meetings et manifestations, et non une milice factieuse. La démonstration en est faite dans la nuit du 6 février 1934 place de la Concorde où ils refusent de pousser leur avantage au seuil du Palais Bourbon.

François de La Rocque était un nationaliste, catholique social, partisan d’un régime conservateur, autoritaire et républicain. Il était anticommuniste, antimaçon, antiparlementaire au sens où il voulait non supprimer les Chambres mais atténuer le pouvoir du législatif par rapport à celui de l’exécutif. Nul projet expansionniste dans le programme de son parti, nulle dimension révolutionnaire dans son mouvement, nulle volonté de créer un homme nouveau, comme ce fut le cas alors des régimes totalitaires, et du côté de Jacques Doriot et de son PPF. La Rocque n’en a pas moins durablement incarné un mythique "fascisme à la française" en raison de l’effet de puissance des Croix-de-Feu et du PSF, comme le montre bien Michel Winock dans son article, en insistant sur ses influences : outre le catholicisme social, un vieux fond bonapartiste allié à à un jacobinisme à la Clemenceau. Loin des dieux tutélaires de l’axe Rome-Berlin. L’Occupation fut l’heure de vérité de la droite française. Rallié à Pétain en 1940, partisan de la Révolution Nationale du moins à ses débuts, le maréchaliste en lui est vite déçu. Créateur et chef d’un réseau de résistance (Klan) en juin 1942, quelques mois avant la dissolution de son PSF par le chef de la Sûreté et des SS en France, il est arrêté par la Gestapo en 1943 puis emprisonné en Allemagne. De ses recherches en archives, de la lecture des travaux les plus récents et de la consultation des témoignages, Michel Winock conclue que "le fascisme français n’a pas existé" (le cas de Vichy est à part puisqu’il n’a été possible que sous une occupation étrangère) et que les Croix-de-Feu et le PSF ne pouvaient être assimilés à un parti fasciste "si ce n’est au prix d’un défaut de rigueur sémantique". Une mise au point rigoureuse et argumentée dont on peut prédire qu’elle ne va pas clore le débat mais, au contraire, probablement le relancer chez certains historiens.

(Source= Le Monde )

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