Dans un futur lointain, les historiens qui écriront sur la France du début du XXIe siècle travailleront sans doute sur le « choc identitaire » qui précéda le chaos en « Ex-France ». Ils découvriront peut-être que dans les années 2010, il était devenu honteux ou presque de se dire français. Quant à moi, pauvre contemporain de cette profonde déliquescence, il m’est arrivé au cours des dernières mois deux petites aventures, caractéristiques de notre époque.
C’était à Cluny en mai dernier. Un jour où je visitais avec une amie
les ruines de ce qui avait été, jadis, la plus grande église de la
Chrétienté, saccagée et rasée pendant la Révolution, je rencontrais par
hasard un groupe de quatre fillettes. Nous étions là, au milieu des
moignons de colonnes, des débris de splendeurs, lorsqu’une des petites
filles, de dix ans environ et pas farouche, nous dit « bonjour » et vint parler avec nous. Percevant un accent étranger, elle demanda à mon amie : « De quel pays venez-vous ? »
Mon amie répondit avec le sourire : « Du Portugal. » Les camarades de l’enfant s’enthousiasmèrent : « Nous aussi, on est portugaises ! »
Alors que ces petites parlaient français sans accent, et qu’elles
étaient probablement nées en France, elles affirmaient leur origine avec
fierté. La fillette qui nous avait abordés en premier tourna la tête
vers ses copines, en maugréant :
« Elles ont de la chance, elles, moi je suis d’origine de rien du tout. »
Cette phrase, emprunte de tristesse et de sombre nostalgie, me
bouleversa, ainsi que mon amie portugaise qui s’empressa de consoler la
gamine : « Mais tu es française, c’est très bien ça, tu te rends compte ! »
Quelques semaines après, au cœur d’une ville moyenne, je me trouvais à
suivre une leçon dans une classe de CM2 d’une école catholique.
L’institutrice parlait du problème de l’eau en Afrique, d’un village
misérable au Niger, me semble-t-il. Larmoyant et culpabilisant selon le
dogme. Un cours banal dans l’école primaire en l’an de grâce et de coups
de fouets 2012. Je ne sais plus de quelle façon, mais la maîtresse
expliqua « qu’on était tous différents et qu’il fallait s’entraider ».
Un des enfants prit la parole et déclara que lui aussi était d’origine
étrangère (il venait du Pakistan). Tous les doigts ou presque se
levèrent alors, telle une vague soudaine sur une mer calme. Chacun,
encouragé par l’effet de groupe, brandissait ses racines, trophées plein
de terre, grouillants d’identités : « Moi, j’suis d’origine marocaine », « Moi, j’suis polonais », « Moi, je suis espagnole », « Moi, sénégalais »
et ainsi de suite. C’était un moment presque sur-réel. Tout le monde
venait d’Ailleurs ! Une petite blonde me regarda, carrément honteuse, et
me chuchota : « Moi, je suis française… je crois. »
La gorge nouée, solidaire, je lui répondis : « Moi aussi… »
Voilà, ce témoignage s’adresse aux historiens du futur, qu’ils en fassent bon usage !
Joris Karl, le 24 octobre 2012
Source Boulevard Voltaire
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire